Vie marine et créativité en mouvement

Pendant les vacances j'ai eu l'occasion de me rendre à Guidel en Bretagne chez les parents de ma copine. C'est là que j'ai trouvé le "guide", non pas sous sa forme allemande bien heureusement (c'était au retour de la forêt noire), mais sous l'aspect bienveillant d'un grand érudit (le père de ma compagne) amateur de vie marine et du "bios" de la vie tout court, chantre de l'évolution, capable de discerner dans le moindre coquillage et la plus fine coquille tout un monde.

Il donne vie au vieil adage hermétique selon lequel "le microcosme reflète le macrocosme" et réciproquement, reliés en une harmonie unifiée dans laquelle l'homme est enserré en un Tout évolutif sans être séparé de son milieu (l'embryogénèse "récapitule" la phylogénèse).

Lorsque je passe errant comme une ombre mortelle au milieu du sable sans rien pouvoir discerner d'autre que les carcasses de l'âme, confondant la mousse naturelle générée par la décomposition du plancton et la formation de protéines avec une véritable pollution marine, ne pouvoir décripter la forme des cascades descendantes laissées dans les grains minuscules engendrée par le mouvement naturel de la mer pas plus que lire les traces de l'érosion indiquant l'inéluctable mouvement du sablier du temps, j'ai l'impression d'être un peu idiot et passé à côté de quelque chose d'essentiel.

En effet, la connaissance sensible, comme le philosophe Guillaume d'Ockham le rappelle, qui devrait être connu davantage par sa vision originale du processus d'acquisition de la connaissance que par son activité de barbier, provient d'une intuition directe de la forme sensible.

Pour connaître une chose directement, un objet ou un phénomène, point n'est besoin de se former par une abstraction vide une "forme intelligible" générale qui se "colle" à l'impression sensible et dont l'opération demeure à jamais aussi insaisissable que mystérieuse pour le commun, il suffit de "voir" directement "l'essence" de la chose grâce à l'intuition de son existence propre (ou de sa "non existence" s'il s'agit d'une simple forme imaginée et produite par la Puissance divine sans passer par les sens). Et pour cela, une impression unique suffit.

Ensuite l'intellect, par le jeu de la mémoire et de la recréation abstractive de l'image des objets, peut comparer et analyser des suites convergentes d'états ressemblant par continuité et analogie en produisant une image intérieure des choses et des êtres. Mais à la base l'intuition de cette rose qui est là suffit. N'est ce pas analogue à la fameuse formule hindou "tu es cela ?"

Cela explique pourquoi Jacob Boehme a cru discerner les principes de l'univers dans une simple motte de terre dans une prairie et à travers le reflet d'un rayon sur un vase d'étain ou comment l'écrivain plus proche de nous Ernst Jünger a réussi à décripter la réalité sous forme d'un réseau de "correspondances" infinies à partir de la réalité sensible et concrète rendue vivante pour le lecteur grâce au pouvoir de l'écriture.

Celle ci résulte d'ailleurs d'une véritable générosité, l'écrivain s'efforçant de mettre un ordre dans son esprit et ses impressions afin de les communiquer à un autre en une unité synthétisée, qu'il soit réel ou imaginaire, virtuel ou présent en chair et en os dans un environnement immédiat ou lointain.

L'observateur attentif, authentique vigie marine du petit bourg de Guidel non loin de l'école des peintres de Pont-Aven enseigne donc ce regard scrutateur, voyant dans la forme proche d'une roche ou d'un minéral qui orne sa demeure l'écho de sa lointaine formation. Il peut repasser de façon indéfinie par la même plage, le même arpent de terre tout en contemplant le mystère de l'origine de l'île de Groix car dans le détail se dévoile la vie du Tout.

Mais cette vie en profusion ne témoigne t elle pas d'un "pan psychisme" supérieur, d'une nature étagée en strates et en niveaux "cosmologiques", reliant aux étoiles et aux astres invisibles l'intensité d'un regard simple et supérieur ?